Thomas Jolly embarque de jeunes acteurs sur « Le radeau de la méduse » (Le Monde)

LE MONDE | 20.07.2016 à 09h53 • Mis à jour le 20.07.2016 à 10h54 |Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale)

Le Radeau de la méduse, de Georg Kaiser mis en scène par Thomas Jolly.A Avignon comme ailleurs, Thomas Jolly est une star, notamment auprès des jeunes. En 2014, à 32 ans, il est ­entré dans la légende du Festival, en mettant en scène Henry VI, de Shakespeare, en un feuilleton théâtral de dix-huit heures plein d’allégresse.

Cette année, il est doublement présent, avec deux belles propositions. Sa compagnie, la Piccola Familia, se taille un joli succès en proposant, tous les jours (ou presque), à midi, son feuilleton sur l’histoire du Festival. Sous les grands platanes du Jardin Ceccano, ce sont des acteurs joyeusement déchaînés qui, à chaque épisode, éclairent cette histoire née en 1947 sous un angle ou l’autre, qu’il s’agisse de souligner l’absence criante d’« autrices » dans la programmation ou d’examiner – diplomatiquement of course – le rôle de la critique.

Georg Kaiser, un auteur trop méconnu en France

Thomas Jolly signe par ailleurs la mise en scène du Radeau de la méduse, de Georg Kaiser, un spectacle qu’il a monté avec la ­promotion sortante de l’Ecole ­supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg.

Il s’agit bien d’un véritable spectacle, fort réussi, et pas d’un travail d’élèves, comme on peut souvent en voir. La première bonne idée, c’est d’avoir exhumé cette pièce rarement jouée de l’Allemand Georg Kaiser, auteur trop méconnu en France. Né en 1878, ­précurseur de Bertolt Brecht, le dramaturge a connu toutes les blessures et les folies de son pays, mais aussi traversé ses formes ­esthétiques, du naturalisme au néo-impressionnisme, de l’expressionnisme, dont il a été le ­représentant le plus marquant, à une forme de néohumanisme.

L’AUTEUR S’EST INSPIRÉ D’UNE HISTOIRE RÉELLE : LE TORPILLAGE PAR UN SOUS-MARIN ALLEMAND, EN SEPTEMBRE 1940, D’UN PAQUEBOT BRITANNIQUE

Kaiser a écrit Le Radeau de la ­méduse en 1942, alors qu’il était en exil en Suisse, où il mourra en 1945. Il s’est inspiré d’une histoire réelle : le torpillage par un sous-marin allemand, en septembre 1940, d’un paquebot britannique qui transportait des enfants orphelins vers le Canada.

L’histoire donne à Kaiser ­matière à une fable tragique, aux rouages bien agencés. Suite au naufrage, treize enfants ont été sauvés, et se retrouvent sur un canot de sauvetage, perdus au milieu de la mer, avec deux caisses de provisions et un bidon d’eau douce.

En sept jours, le temps qu’il fallut à Dieu pour créer le monde, ils vont passer d’une utopie collective et égalitaire à la barbarie.

Des enfants fuyant la guerre, une embarcation de fortune soumise aux dangers de l’océan… L’histoire résonne fortement avec l’actualité, d’autant plus que c’est le fanatisme religieux qui va être le ­déclencheur de la tragédie.

Une belle scénographie

Très vite, deux leaders se détachent dans le groupe : Ann et ­Allan. Ils s’aiment, ils vont même se marier sur le bateau, mais ils n’ont pas les mêmes idées. Allan s’accrochera jusqu’au bout à son idéal humaniste, tandis qu’Ann suit son obsession : ils ne seront jamais sauvés tant qu’ils seront treize sur le bateau. C’est elle qui gagnera, et ­amènera le groupe à se débarrasser de l’un d’entre eux pour ­pouvoir survivre.

Thomas Jolly n’a pas tiré de ­manière facile sur la corde qui ­relierait ce Radeau à l’actualité. Il met en scène la pièce pour elle-même, dans une magnifique ambiance nocturne, avec le canot de bois tournant sur lui-même au centre de la scène – le travail scénographique, effectué avec les élèves, est très beau. Il joue avec les formes expressionnistes, aussi, qui évitent à son spectacle d’être bêtement naturaliste.

Le jeu travaillé avec les douze élèves, six filles et six garçons – plus un enfant acteur – est un peu formel, mais très choral, et tout cela finit par donner toute sa force à la pièce de Kaiser, à l’heure ou la Méduse pourrait bien nous dévorer à nouveau, nous aussi.

Le Radeau de la méduse, de Georg Kaiser. Mise en scène : Thomas Jolly. Gymnase du lycée Saint-Joseph, 15 heures, jusqu’au 20 juillet. Tél. : 04-90-14-14-14. Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse, Jardin Ceccano, jusqu’au 23 juillet à 12 heures. Entrée libre. www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2016/le-radeau-de-la-meduse

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